Détermination des prix, cession de droits sociaux, intervention, expert autonome, cessions forcées, emprunt contractuel, ordre public, conventions extra-statutaires
La loi du 4 janvier 1978 a repris cette procédure d'évaluation à travers l'article 1843-4 du Code civil. Fidèles à l'interprétation de l'article 1868, de nombreux auteurs voient dans cette nouvelle disposition, un instrument de protection du cédant. La compréhension de cette finalité est fondamentale à notre étude, notamment afin de décrypter les derniers arrêts en date de la cour de cassation.
Aux termes de cet article « dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné par les parties ou à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal ».
Une première différence entre l'article 1868 et l'article 1843-4 est que dans le cadre de l'article 1843-4 l'intervention de l'expert est subordonnée à l'existence d'une contestation. Qu'est-ce qu'une contestation? Selon M. Cadiet « l'exigence d'une contestation ne doit pas être surestimée » pour deux raisons. La première est que lorsque la loi fait référence à l'expertise de l'article 1843-4, elle ne subordonne pas toujours l'intervention de l'expert à l'existence d'une contestation (Exemple : article L.221-15 du Code de commerce).
La seconde raison est qu'une contestation ne doit pas être entendue comme le synonyme d'un litige, mais dans son sens courant de désaccord. Il s'agirait d'une simple question de fait. Selon le Professeur Alain Couret la jurisprudence ne fait pas de la contestation une condition sine qua non de l'intervention de l'expert qui peut être prévue par la convention des parties alors même que la loi ne l'impose pas. À la lecture de cet article, on comprend aisément que la condition de contestation fait l'objet d'une appréciation large et souple. Elle pourrait se résumer à l'existence d'un simple différend entre les parties.
La Cour d'appel a même reconnu dans un arrêt de 1983 que les parties peuvent s'en remettre à un expert en dehors de tout contentieux. Ainsi, est licite la disposition statutaire qui prévoit qu'en l'absence de tout différend, la valeur des droits sociaux serait fixée par un tiers désigné dans les conditions de l'article 1843-4 du Code civil. Pour autant, les parties peuvent-elles renoncer à l'intervention de l'expert de l'article 1843-4 en parant à la survenance de toute forme de contestation ?
Il est important de s'attarder sur cette interrogation, car il est apparu, pour une partie minoritaire de la doctrine, que lorsqu'un associé adhérait aux statuts, il aurait accepté par avance la méthode d'évaluation du prix stipulée par l'acte social. Dès lors, une contestation n'aurait plus lieu d'être.
Cependant, l'article 1868 (ancêtre de l'article 1843-4) prévoyait dans sa rédaction, issue de la loi de 1966 que toute clause contraire à son application était inopposable. Les intéressés avaient donc le loisir d'appliquer la clause, mais s'ils la jugeaient contraire à leur intérêt, ils pouvaient au contraire décider de recourir à l'expertise. L'article 1843-4 s'inscrit dans le sillage de l'article 1868. Son caractère d'ordre public, qui lui est unanimement reconnu, exclut que la stipulation d'une méthode d'évaluation du prix puisse écarter la contestation pouvant surgir lors de la cession ou du retrait. La Cour de cassation s'est d'ailleurs explicitement prononcée sur ce point en exigeant que la contestation soit « liée » au moment ou le président est sollicité de désigner le tiers estimateur.
Par ailleurs, si les statuts ne peuvent prévoir, de façon anticipée, une méthode de fixation du prix ayant pour objet de parer à toute éventualité de contestation, c'est, car le recours à l'expertise est un droit d'ordre public protecteur des intérêts des associés et qu'il ne naît qu'au moment de la cession ou du rachat forcé. Du fait qu'il s'agit d'un droit d'ordre public de protection, on ne peut y renoncer avant sa naissance. En définitive, ni les statuts, ni les pactes extra-statutaires ne sauraient empêcher l'associé de quitter la société avec la chance de bénéficier d'une expertise indépendante.
La seconde différence est que contrairement à l'article 1868, l'article 1843-4 ne prévoit pas l'inopposabilité de « toute clause contraire » aux créanciers. Il n'en demeure pas moins que le recours à la procédure de l'article 1843-4 est, sauf dans le cas de la SAS , une règle d'ordre public. Cela ressort de l'indicatif à valeur impérative employé par le législateur dans ce texte, mais aussi de la jurisprudence qui en qualifie expressément les dispositions d'ordre public.
La nature d'ordre public de cette disposition implique, dans certains cas, que l'expert peut intervenir d'office en dehors de toute prévision contractuelle de la part des parties. Cette intervention a certes pour but de garantir la détermination du prix, mais elle supplante parallèlement les principes fondamentaux du droit que sont la liberté contractuelle, la force obligatoire des contrats, la prévisibilité et partant la sécurité juridique. Il est attendu d'un tel article qu'il ait un régime juridique strictement encadré. Il n'en est pourtant rien dans la pratique. En effet, la rédaction rapide et imprécise de l'article 1843-4 fait place à de nombreuses questions qui laissent planer une insécurité juridique sur les cessions de droits sociaux.
La première est relative aux « cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ceux-ci par la société ». Quels sont ces cas ? Avant 2007, il était admis que cette disposition ne s'appliquait qu'aux cas de cession ou de rachat prévus par la loi. La majorité de la doctrine adhérait à cette solution. Par ailleurs, la chambre commerciale de la Cour de cassation s'était largement prononcée dans ce sens, en cassant l'arrêt rendu par les juges du fond qui avait ordonné une expertise, en application de l'article 1843-4, sans constater que les parties ne se trouvaient pas dans un cas de cession ou de rachat prévu par la loi. En 2007, une jurisprudence est néanmoins, venue jeter un trouble sur cette solution.
La chambre commerciale a dans un arrêt de cassation, du 4 décembre 2007, consacré que « viole l'article 1843-4 du Code civil l'arrêt qui retient que dès lors qu'un associé est exclu en application de dispositions statutaires et que les statuts comportent une clause d'évaluation de ses droits sociaux, ces règles statutaires l'emporteraient sur l'article 1843-4 du Code civil, de sorte qu'il n'y aurait pas lieu de faire droit à sa demande tendant à la désignation d'un expert ». Il apparaît dès lors que l'expert de l'article 1843-4 du Code civil peut intervenir d'office en cas de contestation dans des hypothèses de cessions ou de rachats forcés autres que ceux prévus par la loi.
Cette extension a certes des conséquences pratiques, mais à partir du moment où l'on a ouvert le champ d'application d'ordre public de l'article 1843-4 de nombreuses questions apparaissent. Cette extension est-elle réservée aux statuts ? Pourquoi l'ordre public s'arrêterait-il aux portes du contrat ? Qu'en est-il des pactes extra-statutaires ?
[...] Il n'en est pourtant rien dans la pratique. En effet, la rédaction rapide et imprécise de l'article 1843-4 fait place à de nombreuses questions qui laissent planer une insécurité juridique sur les cessions de droits sociaux[26]. La première est relative aux cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ceux-ci par la société Quels sont ces cas ? Avant 2007, il était admis que cette disposition ne s'appliquait qu'aux cas de cession ou de rachat prévus par la loi. [...]
[...] com 16 févier 2010 11586 J. Moury, Des ventes et des cessions de droits sociaux à dire de tiers - étude des articles 1592 et 1843-4 du Code civil : Rev. sociétés 1997 p 15 Cass. com avril 2005, n°03-11-790, Bull civ. IV 95 Escarra et Rault, traité théorique et pratique de droit commercial . Les sociétés commerciales 275 p315 L. Cadiet, Arbiter Arbitror, Gloses et post gloses sous l'article 1843-4 du Code civil, Mélanges Guyon Dalloz 2003 P et s. [...]
[...] La distinction opérée par la Cour d'appel entre les cessions convenues et les cessions forcées correspond d'avantage à l'esprit de l'article 1843-4. La liberté des parties quant au choix de la méthode de détermination du prix dans les cessions convenues L'expert de l'article 1843-4 intervient d'office dans les cas de cessions ou de rachat prévus par la loi, par une clause des statuts et peut- être (rien n'est moins sûr) par une clause d'un pacte extra-statutaire. Néanmoins, lorsque les clauses prévoient, au contraire, que les parties consentent librement à la cession, en dehors de toutes contraintes légales ou contractuelles, l'intervention d'ordre public de l'expert n'a pas lieu d'être, peu important, la forme juridique de l'acte entourant la clause. [...]
[...] Joly Sociétés p 75, qui juge que la vente est formée dès que l'option d'achat est levée par le bénéficiaire, le prix ne serait-il pas encore déterminé par le tiers (la clause renvoyait toutefois au mécanisme de l'article 1843-4, alors que le pourvoi argumentait sur le terrain de l'article 1592 du Code civil). B. Cavalié Article 1843-4 : des réponses . et des questions ! Lamy droit du contrat 12-2009 B. Fages Exposé des règles générales sur fond de jurisprudence récente 01-2006 perspectives, reflexions croisées Cass. com février 1992 90- 15.668 Kabarka Sté navale chargeurs Delmas Vieljeux : ; Cass. 1e civ décembre 1997 96- 04.172 Banque populaire du Quercy et de l'Agenais c/Penicaud :RJDA 4/98 Memento Pratique FL cessions de parts et d'actions 2009-2010 J. [...]
[...] Dans d'autres de ces cas, l'intervention de l'expert de l'article 1843-4 n'est que supplétive. Elle est subordonnée à l'existence d'une contestation. Il s'agit des cas de cessions prévus par les articles L235-6 (concernant le rachat de droits sociaux dans le cas de la nullité constatée d'une société fondée sur le vice du consentement d'un associé), L228-24 (relatif à la cession d'actions) et L.227-18 du code de commerce (étude de cet article ci-après) . Un courant jurisprudentiel s'est peu à peu amorcé pour faire sortir l'article 1843-4 de son lit d'origine[29], mais c'est véritablement l'arrêt du 4 décembre 2007 qui consacre l'extension du champ d'intervention d'ordre public aux cas de cessions et de rachats prévus par les statuts[30]. [...]
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