Le droit fiscal intervient fréquemment dans les choix de gestion, tant au niveau du patrimoine individuel qu'au niveau de l'entreprise. Il peut en effet encourager des choix, en attachant des avantages particuliers à certaines situations ou, au contraire, imposer une certaine rationalité, en sanctionnant fiscalement des comportements qu'il jugerait « déviants ».
Ainsi, les incitations fiscales consistent-elles à utiliser le régime de l'impôt, d'une part, non plus seulement dans une optique financière, mais pour agir sur la politique ou l'économie ; citons pour exemple le crédit d'impôt, à l'image du crédit d'impôt recherche, qui est une aide publique qui permet « d'accroître la compétitivité des entreprises en soutenant leur effort en matière de recherche-développement ».
D'autre part, l'administration fiscale va exercer son contrôle sur les contribuables : l'art.L.55 du Livre des Procédures Fiscales (LPF) du nouveau Code des Impôts donne à l'inspecteur des impôts la possibilité de vérifier les déclarations déposées par le contribuable, et ce dernier est tenu de présenter tous les documents permettant de justifier de l'exactitude des résultats indiqués dans sa déclaration. Par la suite, les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette de l'impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d'imposition peuvent être réparées par l'administration. Ce n'est autre que le droit de reprise de l'administration.
Emerge alors un conflit délicat, mettant en opposition des principes de toute première importance en droit fiscal : le principe de non immixtion de l'administration fiscale et la liberté de gestion des entreprises se voient confrontés à l'obligation de gestion efficace, à la morale des affaires et à une imposition qui est d'ordre public, et qui doit respecter les articles 38 et 39 du code générale des impôts (CGI). C'est au croisement de ces principes qu'apparaît la notion d'acte anormal de gestion.
En tant que construction jurisprudentielle, la théorie de l'acte anormal de gestion n'en est pas moins basée sur des textes légaux.
Aux termes de l'art.38, al.1er du CGI, le bénéfice imposable s'entend « du bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises ». Le même article, dans son 2e alinéa, le définit comme « la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt ». Quant à l'art. 39,1 dudit code, il dispose que « le bénéfice net est établi sous déduction de toutes les charges […] ». C'est sur ces textes que s'est fondé le Conseil d'État pour dégager la théorie de l'acte anormal de gestion. Le cœur de la polémique réside en effet, d'une manière très générale, dans la définition du bénéfice imposable : que peut-on considérer comme « charges » déductibles du bénéfice brut ?
Dans un arrêt du 1er juillet 1983, le Conseil affirme : « Pour l'application des dispositions de l'art.38 du CGI […] seuls peuvent ne pas être pris en compte les actes ou opérations qui ont été réalisés à des fins autres que celles de satisfaire les besoins ou, de manière générale, servir les intérêts de l'entreprise et qui, dans ces conditions, ne peuvent pas être regardés comme relevant d'une gestion normale de celle-ci... ». Ainsi les entreprises pourront, dans une certaine mesure, déterminer elles-mêmes l'assiette de l'impôt qu'elles sont tenues d'acquitter.
Le juge fiscal reconnaît donc à l'entreprise une certaine liberté de gestion. Celle-ci va d'ailleurs bien au-delà du domaine fiscal, car la liberté de gestion est plus largement animée par les principes du droit commercial : la liberté de choix dans la forme sociétaire, dans les techniques de production, dans les investissements… Tout cela relève du pouvoir de direction du chef d'entreprise, qu'il doit pouvoir exercer en fonction de certaines contingences et contraintes fiscales. Un « droit à l'erreur » lui est donc accordé, et l'administration ne pourra retenir contre lui une mauvaise gestion. Un arrêt significatif du 7 juillet 1958 l'a officiellement affirmé, jugeant que «le contribuable n'est jamais tenu de tirer des affaires qu'il traite le maximum de profit que les circonstances lui auraient permis de réaliser ».
[...] 196532 : RJF 2/2000. CE mai 1988, req. n°51366 : Dr.fisc.1988, n°42. CE, 8e et 9e ss-sect janv.2000, req. n°186818, SA Nergeco : Dr.fisc.2000, n°43. TA Nantes, 1e ch août 2000, req. n°961802, M.Porche : Dr.fisc n°28. [...]
[...] En revanche, comme l'a indiqué l'arrêt SA Intertrans[155], on ne s'attardera pas sur l'intérêt de la dépense ; la preuve de l'absence d'intérêt incombe en effet à l'administration. Au vu de la jurisprudence, on note une certaine rigueur dans l'appréciation de la justification: ainsi, n'a pas été considérée comme justifiée la charge d'une entreprise qui, effectuant des achats de champignons auprès de particuliers non tenus à l'établissement de factures, a présenté comme justification de ses achats des relevés mentionnant globalement en fin de journée le poids et le prix des champignons[156] ; de même pour une société n'établissant pas la réalité des services rendus par des tiers, en se bornant à produire des correspondances émanant d'elle-même et qui font référence à des possibilités de coopération ou à des entretiens.[157] En cas d'absence de justification, l'administration est réputée apporter la preuve qui lui incombe de l'existence d'un acte anormal de gestion. [...]
[...] A cette occasion, le commissaire P.-F. Racine écrit expressément : la circonstance qu'une opération effectuée par une entreprise ou une société comporte un avantage, même appréciable ; pour un tiers, ne suffit pas à rentre cette opération anormale.» 4 Le caractère illicite, ou la mise en exergue de l'immoralité fiscale Si pendant longtemps la jurisprudence a considéré un acte illicite comme étant forcément un acte anormal de gestion, il résulte de trois décisions significatives rendues en 1983 qu'une dépense illicite n'est pas nécessairement anormale si elle est engagée dans l'intérêt de l'entreprise. [...]
[...] Il convient donc de déterminer si l'abandon est de nature commerciale ou financière. Le caractère de l'abandon, commercial ou financier, doit être principalement recherché dans les motivations qui ont conduit à le consentir. Cette distinction doit procéder d'un examen, non pas isolé, mais global, de l'ensemble des éléments de fait ou de droit relevés au moment où l'abandon de créance a été consenti (Doc.adm A 2162). Un abandon de créance à caractère commercial trouve son origine dans des relations commerciales entre deux entreprises ; l'abandon est consenti pour maintenir des débouchés ou préserver des sources d'approvisionnement. [...]
[...] Les remises de dettes effectuées dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire constituent des abandons de créances non soumis à la TVA. Les créanciers peuvent récupérer la taxe facturée à l'entreprise défaillante et déjà acquittée au Trésor en utilisant la procédure des opérations impayées Le groupe en restructuration En période de restructuration (fusion, prise de contrôle, séparation), le concept de l'acte anormal de gestion est susceptible de jouer, à raison des aides accordées à l'occasion ou autour de ces opérations La fusion : la question des intérêts de l'emprunt contracté par la société holding C'est principalement dans les opérations de fusion rapide ou Leverage buy out qu'est concerné l'acte anormal de gestion. [...]
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