Fin novembre, le sidérurgiste franco-luxembourgeois Arcelor lançait une OPA hostile sur le canadien Dofasco, offre contrée depuis par l'OPA amicale de ThyssenKrupp qui portait la prime à 60% sur le dernier cours de bourse de la société cible. Cette opération en cours concentre en elle un certain nombre d'éléments permettant l'étude des fusions et acquisitions (F&A) actuelles : à savoir, la consolidation d'un secteur d'activité, le caractère international des offres, l'importance du mode de paiement choisi (ici en liquide) et la mise en œuvre d'une arme anti-OPA – le recours à un « chevalier blanc » qui s'engage à racheter la cible à des conditions plus avantageuses pour elle (avec une prime plus importante). Ces quelques considérations parmi d'autres seront l'objet de ce travail explicatif sur les F&A.
On parle de fusions et acquisitions de manière générique pour désigner des opérations de concentration d'entreprises. Théoriquement, une fusion donne naissance à un groupe nouveau à partir de deux ou plusieurs entités anciennes qui disparaissent juridiquement (comme Usinor, Arbed et Aceralia qui ont fusionné en 2002 pour donner naissance à Arcelor), alors que l'acquisition correspond au rachat d'une firme par une autre (à l'image d'Orange acquis par France Telecom en 2000). Mais dans les faits il y a des similitudes entre ces deux formes de concentration, notamment lorsque l'acquisition est payée avec des actions de l'acquéreur, ce qui s'apparente à une fusion. Les F&A sont donc traitées ensemble aussi bien dans les études théoriques que par les professionnels de ce secteur.
On peut en effet bien parler de secteur spécifique pour désigner le marché mondial des F&A. Après quelques années d'accalmie, la dynamique semble repartie depuis 2004 avec des opérations mondiales qui s'élevaient début décembre 2005 à 2.685 milliards de dollars, contre 2.082 l'année précédente (soit une augmentation de près de 30%). La vague actuelle se distingue, comme lors de la dernière décennie, par l'importance des opérations transnationales. On constate aussi que les flux de F&A suivent de près l'évolution du marché financier, surtout à la fin des années 1990.
Un rapprochement de firmes a des impacts sur tous les aspects de la vie d'entreprise, mais nous allons ici mettre l'accent sur le point de vue financier qui évalue les F&A en termes de valeur créée pour les shareholders (actionnaires), quand bien même une telle opération a des effets sur tous les stakeholders (agents portant un intérêt à l'activité de l'entreprise, comme les créanciers, les managers, les salariés, les clients et fournisseurs, etc.).
Les interrogations principales lorsqu'on aborde les F&A sous cet aspect tournent autour de la question des mécanismes qui permettent la création de valeur, des causes de l'échec de tant de F&A dans cette ambition et de la poursuite, malgré tout, des vagues de concentration. Pour tenter d'y répondre, nous nous intéresserons d'abord aux justifications premières des F&A qui sont économiques. Puis, nous passerons en revue les modes de réalisation d'une telle opération. Ensuite sera abordée la question centrale de la création de valeur. Enfin, nous terminerons par quelques approches théoriques permettant de mieux cerner la réalité financière des F&A.
[...] D'où provient la création de valeur dans ces opérations avec effet de levier ? Il ne nous appartient pas ici d'analyser en détail les LBO, mais on peut mentionner trois pistes de réflexion : la déductibilité fiscale des frais financiers ; l'amélioration de la qualité du management ; la pression de l'endettement sur l'efficacité de la gestion managériale. Notons aussi que la théorie des marchés efficients prévoit que les coûts de faillite actualisés réduisent à néant l'avantage des économies d'impôt et que les études empiriques montrent que les LBO qui conservent leurs dirigeants connaissent le même taux de succès. [...]
[...] La théorie Q de l'investissement prévoit que le taux d'investissement d'une entreprise augmente avec son ratio Q. On peut donc essayer d'appliquer le même raisonnement aux F&A[35] qui servent comme vu plus haut les mêmes objectifs qu'un investissement. Les recherches montrent ainsi que le facteur de corrélation entre le Q de Tobin et les F&A est de soit plus élevé que pour l'investissement interne (une opération de F&A présentant un coût fixe très important et coût marginal d'ajustement faible). Autre motif incitant les managers à choisir les acquisitions plutôt que l'investissement interne : la préférence pour la dépense des free cash flows dans des opérations de croissance externe pour ne pas avoir à les restituer aux actionnaires et perdre ainsi un pouvoir important (théorie de Jensen que nous aborderons plus bas). [...]
[...] Une autre mesure radicale consiste à accorder une golden share à l'Etat, lui permettant d'avoir une sorte de droit de veto sur les décisions de l'entreprise ; cette possibilité n'existe plus depuis que la CJCE l'ait jugée illégale. Le développement des marchés financiers et l'influence des pratiques anglo-saxonnes ont permis l'émergence d'autres techniques de défense anti-OP, même si elles restent très rares de ce côté-ci de l'Atlantique. Il s'agit notamment de poison pills qui visent à rendre une firme moins attractive pour un éventuel acquéreur : ces clauses (publiques) peuvent prévoir la possibilité en cas d'OP pour les actionnaires existants sauf l'acquéreur d'acheter de nouvelles actions à prix réduit (flip in poison pill) afin de diluer le capital détenu par le candidat ; ou encore le transfert de la propriété d'actifs stratégiques (brevets, filiales) vers une autre entreprise partenaire en cas de rachat réussi de la société-mère. [...]
[...] C'est ici une différence importante avec la logique d'un investisseur industriel qui, lui, consacre toutes ses ressources à faire fructifier un seul investissement[20]. L'adaptation de ce raisonnement aux firmes tend à les considérer toutes comme des holdings dont l'activité est dès lors semblable à celle d'un gérant de portefeuille. Cette vision est bien évidemment très réductrice et ne permet pas d'expliquer l'importance des F&A horizontales et la déconfiture des grands conglomérats issus pour beaucoup de la vague de F&A des années 1960. La logique financière de la diversification adoptée par une entreprise n'est en effet généralement pas bien perçue par les marchés[21]. [...]
[...] Les F&A sont donc souvent accompagnées de scissions: que ce soit pour réaliser un arbitrage financier en revendant un ensemble activité par activité ; pour convaincre le marché du caractère complémentaire (et donc susceptible de produire des synergies) d'une F&A en se débarrassant des actifs non liés au métier de base ; ou pour satisfaire (de manière préemptive ou après injonction) les autorités antitrust et obtenir l'autorisation de conclure l'accord de rapprochement. Les scissions de filiales ou activités nourrissent elles-mêmes d'autres notamment des rapprochements horizontaux, ainsi que le secteur des LBO/LBI. [...]
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