Une affaire complexe
Démentir ou punir ?
Si l'affaire Ghosn connaît un tel retentissement, c'est qu'elle appuie là où ça fait mal sur le plan d'abord économique et stratégique. L'alliance Nissan-Renault a été initiée en 1999, une époque où les résultats de la marque nippone étaient moribonds. La posture de Renault et de Carlos Ghosn lui-même était clairement de mettre les comptes de Nissan au vert et de relancer sa rentabilité.
Mais en 2018, le rapport de force s'est inversé : Nissan dépasse Renault en volume de vente et en taux de rentabilité. Les Japonais montrent donc des velléités de prendre plus de poids au sein de l'alliance et peut-être que la révélation de l'affaire Ghosn tient d'un plan stratégique de leur part... C'est l'idée de mondialisation et la cruauté du système libéral qui est ici remise en question aux yeux de tous.
Ensuite, pour y ajouter le plan politique, Carlos Ghosn est arrêté en pleine période des Gilets Jaunes, c'est à peu près la pire période pour être trempé dans un dossier de malversation. À travers cette affaire, l'État français est impliqué par sa capacité de réaction à ce thème et bien entendu, car Renault est un des fleurons de l'industrie automobile française, une industrie qui peine à croître autant qu'elle le devrait et perd de sa superbe.
Du côté français, la réponse de l'État a été d'abord timide, puis un peu plus marquée : le Ministre de l'Économie Bruno Le Maire a lancé un audit interne de Renault. La volonté est de montrer aux Français que le gouvernement ne compte pas laisser l'affaire d'une part aux mains nippones, de l'autre potentiellement impunie.
Par contre, pour Renault, la communication de crise est assez mauvaise, basée sur une tactique de démenti de la culpabilité de Carlos Ghosn et d'un rejet de la faute sur la gourmandise de Nissan en véhiculant l'idée du complot. Comme souvent en communication, Renault et ses avocats répliquent en tentant de déshumaniser l'adversaire, mettant en avant les prétendues conditions de détention « inhumaines » du PDG de Renault dans sa prison tokyoïte. Sauf que, surtout en période de contestation et de crise sociale, peu de Français peinent à plaindre le grand patron...
La réponse côté Japon a, à nos yeux, été plus pertinente. Du moins, a lancé un signal plus fort en termes stratégiques et de communication. Contrairement à Renault qui ne l'a pas souhaité dans un premier temps pour leurs dirigeants, les Japonais ont limogé, dès la parution de l'affaire, les présidents des conseils d'administration de Nissan et de Mitsubishi. Cette réponse punitive, orchestrée par les actionnaires, sépare l'entreprise des hommes, donc la société des faits graves qui peuvent lui être reprochés. Le Japon revêt même ici l'image d'un redresseur de torts - l'enquête interne qui mena à la chute de Carlos Ghosn émane de Nissan - en opposition à un système français qui en ressort plus trouble et injustement tolérant.
Dans l'attente de l'avancement à la fois du procès et de la politique de Renault et de l'État français, c'est la partie Nissan-Mitsubishi Motors qui semble avoir apporté la meilleure façon de limiter la casse et de maintenir (un peu tôt pour la redorer tout à fait) l'image de marque de cette immense alliance qu'est Renault-Nissan-Mitsubishi Motors.
Sources : Les Échos, L'Expansion, Le Point, Le Monde