Mécanismes de Gouvernance, prise de risque managériale, contexte Tunisien, théorie prospective, théorie d'agence, conflits d'intérêts, entreprises tunisiennes, analyse canonique
La prise de risque a été largement abordée dans la littérature financière depuis les années quatre-vingt. Plusieurs théoriciens dont Bowman (1980), Tversky et Kahneman (1981), MacCrimmon et Wehrung (1986), March et Shapira (1987), Bromiley (1991) ont mis en évidence cette problématique. Aujourd'hui, suite aux successions des scandales d'Enron, de Worldcom, Global Crossing et d'autres compagnies de haute renommée, c'est la prise de risque du manager qui a pris de l'ampleur. En effet, la détermination des facteurs influençant la prise de risque managériale est devenue un enjeu central. L'effondrement de ces grandes entreprises a été expliqué en grande partie par la faiblesse des systèmes de gouvernance. Ainsi, Healy et Palepu (2003) ont renvoyé ces faillites aux stratégies de gestion dangereuses et parfois frauduleuses au profit des dirigeants, ce qui a ravivé l'intérêt du public pour les problèmes de gouvernance dont le fond est si classique.
La théorie d'agence, selon Barney et Hesterley (1996), a d'ores et déjà mis en relief la prise de risque d'aussi bien les agents (les managers) que les principaux (les actionnaires). Le principal est indifférent vis-à-vis la prise de risque du dirigeant étant donné qu'il peut diversifier son portefeuille à travers plusieurs firmes. Cependant, Donaldson (1961) et Williamson (1963) ont noté qu'eu égard au grand lien de la stabilité de l'emploi et de la rémunération du manager à la situation de la firme, ce dernier manifeste souvent une aversion au risque et tente souvent de restreindre sa prise de risque. Une telle attitude est susceptible de créer des coûts d'opportunité pour l'investisseur qui préfèrerait que l'agent maximise la valeur de l'entreprise en prenant plus de risque. Cette hypothèse a été approuvée par plusieurs théoriciens dont notamment Morck, Schleifer et Vishny (1988), Hoskisson et al. (1991), Garen (1994). Ce gap entre les attitudes face au risque des deux partis peut nourrir, selon Coffee (1988), Beatty et Zajac (1994), Tufano (1996), Rogers (2005) et Dionne et Triki (2004), des conflits d'intérêts et induire donc des problèmes d'agence.
Tosi et Gomez-Mejia (1989), Beatty et Zajac (1994), Gomez-Mejia (1994) ont signalé à cet égard que le challenge est d'instaurer un système de gouvernance fiable susceptible d'aligner les intérêts des dirigeants et des actionnaires notamment en matière de risque. Tosi et Gomez-Mejia (1989) et Westphal et Zajac (1995) ont par ailleurs stipulé qu'en dépit du rôle fondamental alloué au risque dans la théorie d'agence, sa formulation a été très naïve et restrictive. De même, la théorie comportementale s'est épanouie et développée indépendamment de la théorie d'agence bien qu'elles soient complémentaires. De ce fait, Wiseman et Gomez-Mejia (1998) ont proposé un modèle comportemental d'agence mettant en évidence la prise de risque managériale. Ce modèle d'une part met en jeu l'efficacité des mécanismes de gouvernance dédiés à améliorer le contrôle de l'agent par le principal et d'autre part décèle l'influence de ces mécanismes sur la prise de risque de cet agent. De même, Kose et al. (2005) ont assimilé la qualité de la protection des investisseurs à la capacité d'influencer les choix d'investissements du dirigeant et l'aptitude à rationaliser ses prises de risque. Ainsi, notre principale motivation est de contribuer au développement de ce jumelage si pertinent « théorie d'agence – théorie comportementale ».
C'est dans ce cadre que s'insère notre étude. Cette étude, élaborée dans le contexte tunisien, s'inspire certes des recherches ayant trait à la théorie prospective et la théorie d'agence mais propose surtout d'explorer les spécificités des firmes opérant dans les pays en voie de développement. Ainsi, nous proposons d'apporter quelques éclaircissements afférents non seulement aux systèmes de gouvernance opératoires dans les pays émergents mais également aux attitudes et comportements des agents et investisseurs dans tels pays. En effet, malgré la multiplication des études au sein des pays industrialisés, les pays émergents et notamment la Tunisie demeure un champ d'investigation non encore exploré. De ce fait, notre étude se veut la première contribution qui se focalise sur cet axe d'investigation en Tunisie. Plus explicitement, la question centrale de notre étude est la suivante « Quel est l'impact des mécanismes de gouvernance sur la prise de risque du manager tunisien ? ».
En effet, la plupart des dirigeants des entreprises tunisiennes semblent être averses au risque et s'engagent assez rarement dans des projets risqués. Selon une étude menée par la BVMT en 2003, les dirigeants tunisiens préfèrent souvent des placements sécurisés et sûrs tels que les comptes épargnent, les bons de trésor, les bons de caisse aux réinvestissements risqués tels que les SICAR, les SICAV, les actions côtées en bourse malgré les diverses mesures concédées par les pouvoirs publics notamment fiscales encourageant de tels produits.
Concernant les mécanismes de gouvernance, il s'avère pertinent de signaler que la présence de l'Etat demeure jusqu'à nos jours prédominante dans la plupart des entreprises tunisiennes en dépit de la politique de désengagement étatique et du programme de privatisation entamé depuis plus de trois décennies. Les pouvoirs publics constituent ainsi l'autorité de réglementation et définissent à cet égard un ensemble de mesures à caractère répressif ou préventif dans le but de discipliner les dirigeants. Ces mesures auront certes leur impact non négligeable sur la prise de risque du dirigeant tunisien.
Par ailleurs, la plupart des entreprises tunisiennes demeurent jusqu'à nos jours familiales et les dirigeants ont tendance à préserver au maximum d'opacité sur les affaires de la famille. De plus, le code des sociétés commerciales stipule que les décisions sociales ne peuvent être prises que par les actionnaires réunis en assemblée générale. Celle-ci est tenue également de contrôler les actes de manager et d'approuver les comptes de gestion. De même, tout actionnaire peut recourir au juge des référés pour faire constater la nullité d'une action. Les actionnaires semblent être alors les surveillants directs de la prise de risque du dirigeant.
Outre l'actionnaire, c'est le conseil d'administration ou le conseil de surveillance qui incarne le second organisme d'inspection. Ce conseil, dont les membres sont déjà nommés par les actionnaires, est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance dans les limites de l'objet social sans pour autant empiéter sur les pouvoirs réservés aux actionnaires. Le manager ne peut agir ou contracter certaines conventions à moins qu'il ait obtenu l'autorisation du conseil et l'approbation de l'assemblée générale. Ainsi, le conseil d'administration contrôle le manager tunisien et peut largement influencer sa prise de risque.
Quant à la Bourse, son rôle dans le financement de l'économie a resté limité voir insignifiant bien que sa création remonte à 1969, et ce en raison de la prédominance de l'État et des banques. Ceci dit, ces dernières demeurent toujours la principale source de financement de l'économie en dépit des efforts déployés pour la marchéïsation de la dette et du capital et la redynamisation du marché boursier. De plus, le manager tunisien fuit souvent le marché financier de crainte de divulguer au public les états financiers ou des informations concernant la répartition du capital ou la hiérarchie des pouvoirs. Il s'avère alors le rôle limité du marché financier dans le contrôle de la prise de risque du dirigeant tunisien.
Ce bref survol du contexte tunisien laisse dégager que l'Etat n'est plus le seul garant des droits des actionnaires à l'instar des autres pays émergents comme l'ont attesté La Porta et al. (2002), soit-il à travers sa présence dans le capital ou à travers les réglementations qu'il met en vigueur. Les actionnaires peuvent dorénavant se protéger eux-mêmes et le conseil d'administration vise également à contrôler le manager. Notre problématique se pose alors ainsi : « quel est l'impact du cadre réglementaire, des actionnaires et du conseil d'administration sur la prise de risque du manager tunisien? ».
Pour ce faire, nous exposons en premier lieu une revue de la littérature ayant trait à l'impact des mécanismes de gouvernance étayés ci-dessus sur la prise du risque du manager. Nous présentons par la suite notre méthodologie de recherche et d'estimation qui recourt à l'analyse canonique, ce qui constitue notre troisième contribution. En effet, la plupart des études antérieures recourent souvent à une modélisation économétrique simple et linéaire. Finalement, nous dévoilons les évidences empiriques observées au sein des entreprises tunisiennes tout en signalant les limites et les futures voies de notre recherche.
[...] C'est en fonction de cette vigueur que le dirigeant choisira entre renoncer à des projets risqués capables d'augmenter la valeur de l'entreprise et lui remporter des revenus énormes ou éviter de tels projets pour protéger ses petits profits immédiats. Kose et al. (2005) ont aussi proposé des mandataires pour protéger et développer les droits des actionnaires et ont montré le poids indéniable des groupes sociaux sur la prise de risque managériale. Finalement, le contrôle de la prise de risque managériale par la législation n'est pas restreint à certains domaines mais plutôt concerne tout manager quelque soit son activité. [...]
[...] Ainsi, nous présentons pour chaque volet les significativités économétriques associées aux variables y afférentes ainsi que leurs implications financières. Concernant le cadre réglementaire, les résultats de cette régression dévoilent l'existence d'une relation significative et négative entre le pourcentage d'actions détenu par l'Etat et la prise de risque du manager. Ce résultat correspond aux suggestions de La Porta et al. (2002). En effet, dans les entreprises publiques, les contrats programme imposent un contrôle de l'Etat sur le manager et limitent alors l'étendue de sa prise de risque. [...]
[...] (1996) ont aussi montré que les actionnaires institutionnels influencent profondément la prise de risque du dirigeant et la stimulent positivement. Dionne et Triki (2004) ont par ailleurs soutenu cette hypothèse tout en précisant que c'est la présence des actionnaires institutionnels détenant plus de du capital qui diminue les coûts d'asymétrie d'information et oblige le dirigeant à adopter une stratégie risquée pour optimiser la valeur de l'entreprise. Néanmoins, Davies et al. (2005) ont montré un impact négatif de la présence des actionnaires en bloc qui selon eux sont obligés d'aligner leurs intérêts avec ceux des managers pour ne pas mettre en jeu leurs affaires avec la firme. [...]
[...] Selon eux, le conseil d'administration ne peut pas dicter la politique de l'investissement parce que les décisions d'investissement, bien qu'observables, ne sont ni vérifiables ni contractuelles. Néanmoins, aussi bien la stratégie financière que la prise de risque managériale sont observables et contractuelles. Le conseil d'administration peut donc influencer de telles décisions voire contraindre le manager lorsqu'il manifeste son manque de diligence et de responsabilité. Cependant, Charléty (2006) a considéré que l'efficacité du conseil est souvent remise en question vu que les administrateurs ne sont pas toujours choisis pour leur compétence et sont rarement rémunérés en fonction de la performance réalisée. [...]
[...] III - Variables endogènes Notre problématique, rappelons-le cherche à déterminer l'impact des mécanismes de gouvernance sur la prise de risque du manager. D'une part, certains chercheurs dont Coles et al. (2006), Dionne et Triki (2004), Beatty et al. (2005), Davies et al. (2005) ont apprécié la prise de risque du manager à travers sa rémunération en stock options en soutenant l'argument de Coffee (1988), Hoskisson et al. (1991), Mehran (1995) qu'un manager récompensé en fonction de la performance de l'entreprise, son aversion au risque diminue et il préfèrera des projets risqués à variance croissante. [...]
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