Transparence, organisation, contrôle aérien civil, revendication sociologique, contrôle aérien en France, information sur les incidents, sécurité aérienne, zones d'incertitude, circulation de l'information, partage du savoir
L'exigence de transparence représente aujourd'hui davantage qu'un effet de mode ; elle prend la forme d'une véritable revendication sociologique, dont il faut questionner la légitimité : tout dire, est-ce être transparent ? La transparence est-elle une éthique de la communication, alors même que, par définition, ce qui est transparent ne se voit pas ?
La notion de transparence renvoie au traitement de l'information et du savoir dans les organisations : faut-il partager l'information, et avec qui ? La transparence peut ainsi s'envisager à deux niveaux : en interne, dans l'organisation elle-même, ou vis-à-vis de l'environnement au sens étroit (actionnaires de l'entreprise, donateurs à une association) ou au sens large (l'opinion publique) en tant que telle. Les connexions avec les enjeux de pouvoir sont évidentes : pour reprendre les termes de Crozier, la maîtrise des zones d'incertitude, non transparentes, est une source de pouvoir décisive dans une organisation.
La problématique de la transparence peut être traitée selon deux perspectives éthiques. Ou bien on considère que le fait de rendre public (la "publicité" de Kant) est bon en soi, et en ce cas, on impose la transparence absolue comme règle de fonctionnement. Reste alors à en définir les vecteurs ; si on a besoin d'institutionnaliser la transparence, c'est bien qu'elle ne va pas de soi. Ou bien on pense que la transparence totale est dangereuse dans la mesure où tout le monde n'est pas prêt à tout entendre : la dimension politique des organisations nous invite alors à la prudence, pour limiter l'application du principe de transparence. De plus, la transparence de l'organisation risque d'entraîner une transparence complète de l'individu membre de l'organisation, qui serait soumis à un contrôle intégral : il faut donc également questionner le lien entre transparence et contrôle.
Enfin, la transparence peut être dévoyée et utilisée par l'organisation elle-même ou certains de ses membres, désireux de montrer de la transparence pour conserver des zones d'ombre qui leur sont favorables.
Il semble que la transparence représente un enjeu particulièrement important dans les organisations qui ont des activités à « hauts risques », comme la sécurité aérienne (plus spécialement le contrôle aérien civil). La question qui se pose est alors : faut-il informer la hiérarchie, ou les subordonnés, ou l'opinion publique, des incidents observés et des dangers potentiels ?
Il est nécessaire d'étudier les modalités de collecte des incidents : s'agit-il de moyens techniques et/ou humains ? Quel est le degré d'encadrement des agents (procédures obligatoires ou facultatives, très normatives ou peu encadrées) ? Il faut répondre à ces questions à la lumière des relations entre agents (entre contrôleurs d'une part, entre pilotes et contrôleurs d'autre part) : quelle est l'application réelle des procédures réglementaires ? Y a-t-il une réticence ou au contraire une propension des agents (pilotes ou contrôleurs) à « reporter » les incidents ? Quelle est la place des enjeux de pouvoir, des facteurs psychologiques et de la culture organisationnelle dans ce processus ?
[...] L'application de ce cadre théorique au fonctionnement des organisations suppose de se concentrer sur la transparence "interne" de l'organisation, ce qui revient à étudier les phénomènes de contrôle et de confiance, et leur intensité respective. Partager le savoir ? La première réflexion qui vient à l'esprit est alors la difficulté, très souvent observée, de la circulation de l'information et du partage du savoir. L'exigence de transparence, et la volonté de mettre en œuvre (par le haut) des processus transparents pour accentuer le contrôle sont directement motivées par le constat d'une trop grande opacité. Si on parle autant de la transparence, et si on veut l'institutionnaliser, c'est bien qu'elle ne va pas de soi. [...]
[...] Ainsi la transparence n'est-elle pas automatiquement un indice de confiance, bien au contraire. Pour être vecteur de confiance elle doit être assortie d'une certaine prudence : tout ne doit pas être toujours dit à tout le monde. L'imprudence dans la transparence ruine la confiance La transparence et les organisations "à risques" Les spécificités d'une organisation "à risques" Une organisation de ce type, plus encore que les autres, sera tentée d'imposer un fort degré de contrôle sur ses membres par la standardisation de ses pratiques : à la limite, on peut prétendre qu'il suffit de définir des procédures formelles (comme l'usage d'une "phraséologie" normalisée) afin d'optimiser la sécurité. [...]
[...] Pour éviter une telle dérive, préjudiciable en dernière analyse à la sécurité, le contrôle aérien doit considérer avec sérieux la revendication de transparence et tâcher d'y répondre efficacement par une instrumentalisation délibérée : en prenant l'initiative d'une communication partielle et ciblée, les organisations "à risques" ont les moyens de désamorcer les exigences du public et de recueillir sa confiance. Ainsi pourront-elles profiter d'une légitimité accrue, susceptible de favoriser la cohésion intra-organisationnelle et donc l'efficacité de l'organisation au regard de ses missions fondamentales. [...]
[...] Enfin, la transparence peut être dévoyée et utilisée par l'organisation elle-même ou certains de ses membres, désireux de montrer de la transparence pour conserver des zones d'ombre qui leur sont favorables. Il semble que la transparence représente un enjeu particulièrement important dans les organisations qui ont des activités à hauts risques comme la sécurité aérienne (plus spécialement le contrôle aérien civil). La question qui se pose est alors : faut-il informer la hiérarchie, ou les subordonnés, ou l'opinion publique, des incidents observés et des dangers potentiels ? [...]
[...] La transparence et les organisations 1. Les enjeux philosophiques de la transparence La transparence prend aujourd'hui la forme d'une véritable revendication sociologique, au-delà des effets de mode. La réalité et la profondeur du phénomène s'enracinent dans une tradition philosophique et comportementale extrêmement puissante, qui repose sur deux postulats : 1. Il est possible de tout contrôler, et de rendre tout transparent en éliminant les zones d'incertitude et d'opacité Par conséquent, il existe une technique optimale, une meilleure façon de faire, pour réduire à néant l'opacité et permettre un contrôle effectif sur les choses. [...]
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