Sciences politiques, Mobilisation domestique, Thomas J. Christensen, opération Liberté en Irak, théorie des coalitions politiques, mobilisation des ressources nationales, menace tangible, manace immédiate, action collective, idéologie, administation Bush, stratégie américaine
Thomas J. Christensen, dans son ouvrage Useful Adversaries: Grand Strategy, Domestic Mobilization, and Sino-American Conflict, remarquait que les réalistes ont souvent tendance, lorsqu'ils sont confrontés à des politiques qui défient les tenants du réalisme, et particulièrement lorsqu'il semble que les décisions des dirigeants sont motivées par des considérations idéologiques ou lorsque qu'un Etat fait preuve d'une agressivité excessive, à abandonner une explication réaliste pour adopter de façon ad hoc un point de vue qui laisse une place prépondérante aux variables explicatives internes.
L'idée majeure de Christensen, est de proposer une lecture réaliste d'évènements historiques pour lesquels le réalisme semble a priori inadéquat, en ajoutant une variable interne : celle de la mobilisation des forces politiques nationales derrière une stratégie. Ainsi, là où certains auteurs voient des décisions aveuglées par des concepts idéologiques ou moraux, ou détournées au profit d'un agenda électoral à l'intérieur, ou encore des décisions qui se traduisent par des postures sur-agressives défiant toute conception classique de l'intérêt de la nation, le modèle de la Mobilisation Domestique voit un moyen pour l'exécutif d'appliquer sa stratégie idéale. Le modèle de la Mobilisation Domestique part du principe qu'un Etat est soumis sur la scène internationale à une série de défis internationaux qui intéressent directement la sécurité ou la place de l'Etat dans le système.
Face à ces défis, les Etats définissent des stratégies idéales, qui sont des réponses virtuelles, des produits rationnels des stratèges de l'exécutif qui raisonnent dans l'absolu, sans tenir compte des éventuelles résistances internes que pourrait opposer la population. Une fois ces stratégies virtuelles définies, l'exécutif les confronte virtuellement à la réaction de la population qui oppose nécessairement un certain degré de résistance. Ce test se fait par l'examen des réactions précédentes de la population à des politiques semblables. Ensuite l'exécutif en déduit la mesure des obstacles internes à sa stratégie idéale. Dans la plupart des cas, des obstacles trop hauts amèneront les dirigeants à adopter une politique sous-réactive du fait de l'impossibilité d'activer le potentiel national pour sa stratégie idéale. Des obstacles politiques internes assez faibles ou moyens constituent en revanche un terreau favorable à la mise en œuvre de la stratégie idéale de l'exécutif. Enfin un degré important d'obstacles, mais que l'exécutif percevra comme surmontable, produira une politique sur-réactive de la part des dirigeants. C'est ce type de résistance interne qui selon Christensen amène l'exécutif à user d'outils comme la mobilisation d'un discours idéologique, ou encore la création ou le prolongement de conflits « limités » avec pour but de créer ou conserver au sein de la population, la perception d'une menace importante, qui se révèle favorable à la mobilisation. Bien sûr la manipulation de ces conflits ou de l'idéologie peut s'avérer dangereuse. L'idéologie elle, peut conduire à s'opposer à des Etats dont le réalisme conseillerait de se rapprocher. La manipulation de conflits peut aussi s'avérer très risquée, et pourrait éventuellement passer du stade de « conflit limité » à celui de conflit généralisé.
Entre janvier 2002 et mars 2003, l'exécutif américain s'est livré à une campagne aux accents idéalistes dont le but était de rallier les forces nationales et internationales afin de mettre un terme au régime de Saddam Hussein. L'opération « Liberté en Irak », qui fut menée de mars à mai 2003, vit la fin rapide du gouvernement irakien. Depuis, les Américains mènent en Irak une guerre de contre-insurrection dans un climat de quasi guerre civile. D'une manière générale, la guerre en Irak pose un problème similaire à celui des politiques qui intéressent le modèle de la Mobilisation Domestique. Elle est le plus souvent perçue par les analystes dans sa dimension idéaliste, dans la mesure où elle serait le résultat d'une conception du monde en termes de valeurs. On met également souvent en avant sa dimension irréaliste ou a-réaliste, puisque pour de nombreuses personnes la situation actuelle des Américains en Irak démontrerait que la stratégie de l'exécutif n'était pas conforme aux tenants du réalisme, qui aurait commandé une politique plus prudente, plus mesurée. Vision messianique et biaisée du monde voire mauvaise interprétation des capacités des Etats-Unis pour certains, pour d'autres il s'agit d'une spoliation du pouvoir par des groupes fortement ancrés dans l'économie et les mass-médias, dont le but aurait été de satisfaire des intérêts privés.
L'objet de ce mémoire est de démontrer que de telles analyses sont un peu trop rapides lorsqu'elles abandonnent les approches réalistes et leur préfèrent une explication mettant en avant l'aspect causal de variables internes voire psychologiques. Nous estimons qu'elles occultent le fait que virtuellement1 l'intérêt national des Etats-Unis n'est pas si éloigné d'une intervention militaire en Irak qu'on pourrait l'imaginer aujourd'hui, et qu'elles sous-estiment quelque peu la qualité des stratèges à l'origine de la politique étrangère américaine. La force du modèle de la Mobilisation Domestique, nous allons le voir, est de proposer une approche à deux niveau, mobilisant variables externes et internes, et capable de prendre en considération les analyses des spécialistes qui pensent que les variables internes sont prépondérantes, même lorsque cela n'est pas le cas. Nous pensons que la décision de renverser militairement le régime de Saddam Hussein et d'assurer le contrôle militaire et politique de l'Irak, procède d'une finalité réaliste, d'une stratégie virtuelle de l'exécutif visant à répondre à un défi international. Ce défi international était lié à la redistribution des cartes de la puissance dans le monde de l'après guerre froide.
Après la bipolarité, les Etats-Unis se sont retrouvés dans la position d'unique superpuissance du système international, et cette position les a amenés à mettre en place une sorte d'ordre « uni-multipolaire », dans lequel ils agissent comme si le monde était unipolaire, mais sans pouvoir réellement ignorer les puissances régionales qui conservent un certain rôle. Dans ce « nouvel ordre mondial », les Etats-Unis ne peuvent pas se priver du contrôle du Moyen-Orient, zone où est concentré l'essentiel des ressources pétrolières au monde, mais qui est aussi le théâtre de quelques uns des conflits mondiaux les plus essentiels à la stabilité internationale. Nous pensons qu'entre la décennie 1990 et les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont en quelque sorte « perdu pied » au Moyen-Orient. Ils n'ont pas réussi à imposer leur modèle culturel ni leurs valeurs. Leur soutien inconditionnel à l'Etat d'Israël et leur volonté de contrôle sur les flux énergétiques leur ont attiré l'inimitié des pays de la Ligue Arabe et de l'OPEP. Les Américains devaient également faire face à des Etats aux ambitions régionales ouvertement déclarées, au premier rang desquelles l'Iran, en passe de détenir l'arme nucléaire. De plus, depuis les attentats du 11 septembre et l'implication de ressortissants Saoudien, l'Arabie Saoudite n'était plus un allié aussi fiable que par le passé. Dès lors, face à ce défi international, la stratégie virtuelle idéale des Etats-Unis était de conserver ou de retrouver leur influence sur la région, si nécessaire par une intervention militaire de grande ampleur3. Dans cette optique, l'Irak était la cible parfaite : non seulement ses importantes ressources pétrolières en faisaient un substitut intéressant au cas où l'Arabie Saoudite se révèlerait ne plus jouer son rôle accommodant lors des envolées des prix du pétrole ; mais en plus les Américains, qui l'avaient mis à genoux en 1991 puis régulièrement frappé pendant dix ans, connaissaient l'état des capacités militaires de l'Irak. De plus, le fait que Saddam Hussein ait été en possession d'ADM et s'en soit servi, ajouté au peu de cas qu'il faisait des droits de l'homme, assurait aux Américains une source de légitimité nationale et internationale favorable à la mobilisation.
Trois objectifs guideront la conduite de notre travail : nous voulons tout d'abord montrer que les raisons invoquées par l'administration de George W. Bush pour envahir l'Irak sont irrecevables. Ensuite nous voulons mettre en évidence le défi international qui se trouvait face aux Etats-Unis entre la fin de la guerre froide et les attentats du 11 septembre 2001, ainsi que la stratégie virtuelle de l'exécutif pour faire face à ce défi.
Autrement dit nous voulons mettre en lumière les intentions réalistes de l'exécutif, en contradiction totale avec le discours idéaliste de l'administration. Ceci qui nous amènera notamment à réfléchir sur le rapport entre le discours et l'action, et à répondre à la question de savoir si une politique réaliste se définit plutôt par ses fins ou dans l'action. Enfin nous étudierons les obstacles internes à la mobilisation qui empêchaient la réalisation de la stratégie virtuelle de l'exécutif entre 1991 et septembre 2001, et nous verrons comment l'administration Bush a instrumentalisé la « guerre contre le terrorisme » pour obtenir le soutien dont elle avait besoin pour sa stratégie en Irak. Nous avons dit que la politique américaine en Irak procédait d'une finalité réaliste eu égard à un défi international ; ceci ne veut pas dire que nous pensons que la réalisation de cette stratégie ait été réaliste, ou pragmatique. Nous laisserons cet aspect du problème aux historiens, et nous nous occuperons uniquement de la façon dont la mise en œuvre de cette stratégie a été rendue possible.
Dans un tout premier temps, nous nous attacherons à présenter un aperçu général des concepts et de l'architecture du modèle de la Mobilisation Domestique, afin de mieux faire comprendre notre argumentation.
[...] Hubert Védrine répond aux critiques formulées par les sénateurs au sujet de la dernière intervention américaine en Irak - 43 - 1. Le caractère vital de l'Irak pour les intérêts américains Les enjeux énergétiques et économiques au Moyen-orient : Bagdad contre Riyad L'enjeu énergétique que représente l'Irak est souvent mobilisé pour justifier l'intervention américaine de 2003. Nous pensons qu'il s'agit en effet de l'un des aspects du réseau complexe des motivations américaines, mais nous refusons toute explication visant à faire de cette variable la cause ultime de l'opération Liberté en Irak Les Etats-Unis ont commencé à investir massivement dans le pétrole dans les années trente, tout d'abord dans l'Iraq Petroleum Company, puis en obtenant cinquante pour cent des droits d'exploitation en Arabie Saoudite par la Standard Oil Company of California110. [...]
[...] They have also resisted isolationist impulses from within their own ranks. But conservatives have not confidently advanced a strategic vision of America's role in the world. They have not set forth guiding principles for American foreign policy. They have allowed differences over tactics to obscure potential agreement on strategic objectives. And they have not fought for a defense budget that would maintain American security and advance American interests in the new century. We aim to change this. We aim to make the case and rally support for American global leadership. [...]
[...] Suite à ces déclarations l'identité de la femme de Joseph Wilson, agent de la CIA, fut révélée au grand public, MASON J. et JACQUET C., Gulliver en procès : la guerre en Irak et ses retombées aux Etats-Unis, p Hans Blix rappelle que l'AIEA, responsable de toutes les inspections nucléaires en Irak, dans un premier temps sous ma direction puis sous celle de Mohamed ElBarradei, n'a trouvé aucun indice permettant d'aboutir à une telle conclusion [que l'Irak avait les structures nécessaires à la fabrication d'une bombe atomique] BLIX op. [...]
[...] L'unique moyen de juger avec certitude du réalisme d'une politique a priori est par ses fins, et l'opération Liberté en Irak est réaliste par ses fins. L'Histoire nous dira si cette option était préférable ou non à l'inaction ou au containment, et si la politique de l'administration Bush fut réaliste dans sa manière d'appréhender son défi international. De l'explication libérale de Liberté en Irak : Dario Battistella et la thèse d'une guerre impérialiste Il reste un dernier point qu'il faut discuter avant de pouvoir passer aux obstacles à la mise en œuvre de la stratégie idéale américaine face au défi international que représentait la modification de la configuration de la puissance dans le système. [...]
[...] Par interpolation, le plus haut degré de menace intervient lorsque la cible de la menace est le territoire national, que le timing est immédiat, et que la nature de la menace est militaire. Ces mesures restant très difficiles à prendre en considération, Christensen explique qu'il faut plutôt les percevoir comme une règle générale opposant la facilité qu'éprouve un Etat à mobiliser ses ressources pour une menace perceptible par la population (à savoir réunissant les trois critères, ou éventuellement un seul de ces critères dans une proportion importante), à la difficulté d'imposer une stratégie de sécurité visant le long terme, et\ou destinée à protéger des Etats alliés ou non alignés (comme le plan de redressement de l'Europe). [...]
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