Pourquoi se pencher sur la question ? Il s'avère que le fait d'avoir effectué un stage de 4 mois au sein d'un magasin Toys'R'Us à Toulon m'a fait prendre conscience du potentiel économique des enfants, et ce de par les efforts déployés pour les capter. Pourquoi les enfants sont devenus des clients à fort potentiel, comment s'est caractérisée l'évolution de leur statut ? Quels ont été les facteurs déclencheurs à cette situation ? En bref, pourquoi de plus en plus d'entreprises cherchent à les attirer ou à utiliser l'image de l'enfant dans leurs campagnes de promotion ?
Je me doute que ce thème a dû être choisi par nombre d'étudiants tant le thème est large. Cependant dans ce mémoire, je m'attache à étudier ce phénomène de la manière la plus complète possible. Cela implique le fait de faire appel à la psychologie, la sociologie, l'économie, au marketing …
Un travail complet et particulièrement prenant. Les enseignements tirés de ces quatre années post-bac, et l'étude de ce sujet m'ont en un sens ouvert les yeux sur l'environnement qui m'entoure et qui fera (ou non) partie de la vie de mes enfants.
Il s'agit d'abord d'expliquer en quoi le statut de l'enfant a changé et comment sa position dans la société actuelle peut être et est exploité par les professionnels.
Si l'on en croit l'historien Philippe Aries, auteur de l'Enfant et la Vie familiale sous l'ancien régime (1960), le « sentiment de l'enfance » n'existait pas au moyen âge par exemple. Selon sa thèse, aujourd'hui très discutée, l'enfant se trouvait mêlé dès sa naissance au monde des adultes, et les classes d'âge n'existaient pas. Ce n'est que progressivement entre le XVI° et le XVII° qu'il se voit reconnaître une spécificité en même temps que des questions comme la responsabilité familiale et l'éducation.
Les questions éducatives avaient déjà intéressé d'éminents esprits comme Platon, pour qui les enfants naissaient avec certains talents, que l'éducation doit permettre de développer.
Mais quelle que soit la réelle période de l'histoire qui a vu l'apparition du « sentiment de l'enfance », une chose est sûre, comme le rappelle le psychologue du développement Jean Adolphe Rondal : « l'étude psychologique de l'enfant ne fait pas partie des préoccupations littéraires philosophiques jusqu'au XVIII° sièc le »
Les écrivains et philosophes d'autrefois étaient surtout préoccupés par l'homme adulte, et beaucoup moins de l'enfant, en qui ils ne voyaient qu'un homme miniature ou bien en devenir. La période de transition entre l'enfance et l'état adulte, l'adolescence, les intéressait davantage.
Au tournant du XVIII°, sous l'effet de cette nouvelle configuration sociale, du rapport à l'enfant, la pédiatrie prend son essor, et les dimensions éducatives prennent rapidement de l'importance.
Jean Jacques Rousseau annonce la psychologie de l'enfant et de l'adolescent, et ses liens étroits avec l'éducation dans son ouvrage Emile en 1762. Le philosophe défendait l'idée que l'art d'éduquer nécessite la mise en place d'une véritable science de l'enfant.
Aujourd'hui c'est la psychologie qui a pris le relais. On étudie et attache désormais beaucoup d'importance au développement de l'enfant tant au niveau physique de psychologique et intellectuel. Le perfectionnement des techniques d'étude en outre, on fait faire de grands bonds en avant en faveur de la place des enfants dans la société. A tel point qu'aujourd'hui les entreprises en sont arrivées à parler de cibles enfant de 0 à 12 ans ou 16 ans… D'autres ont pour slogan « à peine né déjà gâté… » comme c'est le cas pour la filière Toys'R'Us, Babies'R'Us. Que veut dire ce « 0 » tant sollicité par les professionnels ?
Dès la maternité, les mamans sont assaillies de trousses pleines d'échantillons gratuits et de brochures « d'information ». Une gentille attention de la part des marques, qui toutefois ne sont pas réellement désintéressées...
A la naissance de son bébé, Sophie a reçu des mains de la puéricultrice une trousse ornée de nounours bleus. Cette jeune maman y a trouvé quelques couches Pampers, des lingettes Nivea, des modèles de faire part édités par une entreprise locale, et une offre de la Société Générale vantant les avantages de l'ouverture d'un compte en banque pour bébé. Mais la cigogne a aussi pensé à glisser un sachet de céréales de régime fitness.
Pour faire le bilan, nous retrouvons après un an, notre jeune maman. Cette dernière réalise alors qu'elle utilise toujours les marques se trouvant dans la trousse reçue à la maternité. Pampers et Nivea se trouvent toujours sur sa table à langer, et les fitness sont toujours dans son placard, les faire-part avaient été envoyés par le biais de l'imprimeur local, mais Sophie n'a pu ouvrir à temps le compte en banque pour bébé, c'est donc le seul article manquant. Pas de doute, les cigognes savent y faire, elles connaissent ce principe simple largement exploité par le fabriquant de couches Procter & Gamble : les jeunes parents (sont des créatures fébriles qui) ont besoin de repères. Si une marque de couches ou autre leur donne satisfaction, ils ne rechercheront pas à la remplacer par une offre concurrente, recherchant ce qu'il existe de meilleur pour leur tout-petit. Certains expliquent la situation par le fait que les jeunes mamans se trouvent être « livrées à elles-mêmes » lors de la naissance de leur premier enfant, car il y a de moins en moins de transmission de savoir entre mère et fille. Analyse faite par Jacques Lugbull, directeur général de Cadeaux Naissance, leader français du marché.
Ainsi, presque aucun des 2000 bébés nés chaque jour dans une des 675 maternités française n'échappe à son colis, sa valisette, ou sa trousse, voire parfois les trois. D'ailleurs les annonceurs n'attendent que très rarement la venue au monde des « chérubins » pour lancer leurs campagnes de fidélisation quelques peu offensives. En effet, nombre de mamans sont déjà submergées de publicités au laboratoire d'analyse où elles vont faire leurs prises de sang, et quasi aucune n'a pu échapper au colis remis au cinquième mois, lors de la première visite chez le gynécologue de la maternité ; la trousse « Bébé est annoncé » distribuée par le service Maternité et Famille (SMF). Le SMF est d'ailleurs un interlocuteur privilégié dans la mesure où c'est l'intermédiaire obligatoire et nécessaire à la distribution des objets promotionnels. De plus, en mailings traditionnels, le taux de remontée moyen est de 1% au maximum ; mais à la maternité, comme le remarque Bertrand Tiburce, fondateur de l'agence de pub Baby Adgency, le retour en maternité avoisine les 40 voire 80%.
Cette clientèle est une cible en or pour nombre d'entreprises. Les jeunes parents ne se contentent pas de consommer de la puériculture, ils déménagent, achètent une nouvelle voiture, de nouveaux meubles, de l'électroménager, changent de banque, contractent un crédit, une assurance… Tout simplement parce qu'une femme qui vient d'accoucher change symboliquement de statut, elle devient une mère, et même trentenaire, elle achètera ses premières crèmes anti-âge, ou encore des produits pour la teinture. Un père s'achètera une montre « de papa », plus résistante, et plus chère.
Mais, les colis avant d'être déballés par les mères, passent par les mains exigeantes et averties du personnel hospitalier, puéricultrices ou sages femmes. Il est donc vital d'éviter de le contrarier en passant outre les conseils qu'il prodigue aux jeunes mamans. Ainsi dans ce type de colis, on ne verra pas de bébé couché sur le ventre alors que « la mode » est de le mettre sur le dos. Par la même, la promotion du lait artificiel est restreinte, puisque le personnel médical promeut l'allaitement maternel. Les publicités à destination de ces cibles ont d'autres contraintes d'importance à honorer, à savoir le ton du message, qui doit sans cesse rassurer. Ainsi le SMF se voit refuser des offres qui ne respectent pas cette priorité. Mais pourquoi ce service spécialisé accepte-t-il de distribuer gratuitement ces publicités ? Tout simplement pour faire plaisir aux gens. Or ces colis ont un succès fou, de cette manière la situation est valorisante pour tout le monde. Sans oublier bien sûr le fait que les maternités puissent manquer de moyens financiers. Or, offrir de petits cadeaux, c'est aussi une manière de fidéliser les mamans, et donc de les faire revenir. L'enfant serait-il alors le meilleur des vendeurs ?
[...] D'autre part, ils aiment se retrouver en groupe et vivent de plus en plus en dehors du milieu familial. Cependant, lorsqu'ils regardent la télévision, c'est essentiellement pour se divertir. Ils n'ont pas envie de fournir trop d'efforts intellectuels et ont tendance à mettre leur esprit critique en veilleuse. Cette attitude les rend, dans une certaine mesure, assez réceptifs aux messages télévisuels. Au cours de cette phase, les jeunes évoluent dans un univers médiatique qui échappe aux adultes qui les entourent. [...]
[...] Un secteur particulièrement discret en comparaison de l'agro-alimentaire. La particularité de ce secteur c'est le fait qu'il s'adresse principalement aux 8 - 12 ans, et qu'il parvient à vendre sans publicité. En quelques sortes c'est le secteur le plus imaginatif. Pour l'illustrer, nous pourrions citer l'exemple des Converses®, des baskets devenues ces derniers temps incontournables. Elles sont partout, à toute saison : en cuir en hiver, et toile en été, de toutes les couleurs, les hauteurs, unisexe, et aux pieds de toutes les générations. [...]
[...] Une initiative qui avait finalement été rejetée, et, dans son rapport du 5 décembre 2000, le Conseil national de la consommation avait même estimé que dans un monde où la publicité sous toutes ses formes fait partie de la vie, il serait illusoire de mettre les enfants à l'écart de cette dimension économique de la société. Du coup, les publicités s'adressant directement aux enfants fleurissent dans nos écrans. Certaines marques, Malabar pour ne pas la nommer, ayant même carrément opéré un changement de cible (des 4-8 ans aux 8-12 ans), histoire de sortir la maman-prescriptrice de l'équation. Odieuse manipulation, marketing ? [...]
[...] Le Ministère de l'Education accepte ces choix dans la mesure ou les enseignants ont toute liberté de travailler avec les supports pédagogiques de leur choix. Ainsi, si les documents émanant des entreprises contiennent des informations intéressantes, pourquoi les interdire, dans la mesure ou ils contribuent à la formation des enfants. Cette situation porte des questions de déontologie, à savoir : l'école doit- elle être porteuse des valeurs commerciales de notre société ? Tout est une question de mesure, le danger serait que ce soit systématique. Pour les entreprises, l'accès à l'école a néanmoins un coût. [...]
[...] Les moyens mis en place sont d'autant plus importants. Ils doivent être ludiques et efficaces, et avec du recul on s'aperçoit que la majeure partie du temps les marques se font représenter par des personnages imaginaires déjà bien connus de ce public grâce à la télévision. Les enfants ont toujours soif d'apprendre, et restent sensibles aux messages transmis par leur instituteur grâce à un lien affectif ou d'attachement qui se crée au cours de l'année, et renforcé par la présence ludique de petits personnages animés rendant la formation encore plus interactive. [...]
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